Florian Escoubès, enseignant-chercheur : « La communication par l’objet est beaucoup plus efficace que la publicité TV lors d’évènements sportifs »
Enseignant-chercheur reconnu dans le secteur de l’objet média, collaborateur régulier de la 2FPCO, Florian Escoubès a soutenu une thèse sur l’impact inconscient et affectif du sponsoring sportif auprès des spectateurs assistant à de grands évènements. Il nous expose dans l’entretien qui suit en quoi les objets publicitaires ont toute légitimité dans le monde du sport de haut niveau.
Quelle importance revêtent les objets médias distribués dans le cadre d’évènements sportifs ?
Ils sont essentiels, car ils cristallisent toutes les émotions ressenties lors d’un évènement. Par exemple, un t-shirt offert après un marathon sera chargé de l’ensemble des sentiments vécus par un coureur, dans sa préparation comme lors de sa course. Lors de mes études terrain, j’ai constaté qu’il était inconcevable, pour l’immense majorité des participants, de ne pas recevoir de récompense en fin de course. On retrouve également cette force de représentation dans les objets distribués sur le Tour de France, qui ne sont pas perçus comme des déchets par les spectateurs et qui sont donc généralement conservés sur un temps long. Or l’attachement émotionnel influe sur notre mémoire et notre relation inconsciente aux marques. Il joue notamment sur notre façon de consommer et notre confiance dans certains produits.
Ce pouvoir des émotions est-il différent selon le contexte ?
Un élément important tient dans le lien préexistant avec l’annonceur. Si un individu n’en possède aucun, son jugement se fait uniquement sur la qualité de l’objet publicitaire qu’il reçoit. En revanche, s’il existe un lien préalable avec l’annonceur, un transfert s’opère, car le sport agit comme un révélateur d’émotions. Tout à leur joie d’avoir obtenu un billet et de participer à la fête, les spectateurs se rendant à la Coupe du Monde de rugby ou aux Jeux Olympiques seront incontestablement emplis d’émotions positives, et les objets distribués dans le stade, comme des gobelets réutilisables par exemple, agiront comme supports pour ces émotions. Cet état de fait explique pourquoi on les rapporte à la maison. Ils sont consignés, on pourrait en récupérer un euro symbolique, mais on préfère les conserver comme souvenir de l’évènement auquel on a assisté. L’objet, ainsi investi du moment passé, gagne une valeur supplémentaire, celle du souvenir.
Quels mécanismes inconscients s’enclenchent dans l’esprit des spectateurs ?
L’objet représente la seule trace tangible d’un phénomène immatériel, en l’occurrence l’évènement sportif vécu. Les billets d’entrée sont de plus en plus dématérialisés, donc la seule chose physique qui reste, c’est le produit publicitaire. Pour les annonceurs, il s’agit d’une opportunité intéressante, car les spectateurs évoluent dans un contexte favorable, de loisirs ou de passion. Les entreprises présentes au même moment, dans un effet de halo, vont donc bénéficier d’une plus grande réceptivité à leurs messages de communication. On le remarque d’autant plus auprès de clients invités à des évènements sportifs majeurs. Ils se sentent privilégiés, donc s’ils reçoivent un objet média à cette occasion, il y a de fortes chances pour qu’ils restituent ce don par un contre-don. Ce dernier peut prendre la forme d’une publicité positive auprès de l’entourage professionnel ou personnel, ou tout simplement la conservation de l’objet, et donc son exposition à autrui. Il s’agit d’un phénomène de dette psychologique que nous avons tous expérimenté.
Un objet média peut-il rivaliser en termes d’impact face une publicité TV ?
Les communicants ont tendance à sous-estimer la puissance du mécanisme de contre-don. Depuis toujours, les êtres humains s’offrent des objets, pour diverses raisons. C’est un phénomène culturel profondément ancré en chacun de nous. C’est l’une des raisons pour lesquelles la communication par l’objet est beaucoup plus efficace que la publicité TV lors d’évènements sportifs. Cela tient aussi au nombre faramineux de spots auxquels nous sommes exposés, qui aboutit à une forme d’infobésité. A l’inverse, un gobelet obtenu lors d’un match de la Coupe du Monde de rugby possède un caractère unique. Plusieurs mois après l’évènement, le receveur se souviendra exactement du contexte de son obtention et, en sus, il sera exposé à l’annonceur à chaque utilisation de l’objet. En revanche, la mémoire humaine ne permet pas de lister les publicités TV auxquelles un individu a été soumis six mois en arrière, à la mi-temps d’un match de rugby. Sans parler des stratégies d’évitement publicitaire, comme le fait de changer de chaîne, de se lever ou de jeter un œil sur son téléphone.
Existe-t-il des attentes différentes, selon les sports, en termes d’objets ?
Chaque sport possède une culture particulière et quand on offre des objets médias, il est important de s’y plier et de respecter les codes en place. Dans le rugby, par exemple, le rose constitue une couleur patrimoniale, car elle y est historiquement associée à la représentation de la virilité. A l’inverse, un objet rose ne va pas être reçu de la même façon dans le football, car les codes culturels sont très différents. De la même façon, le béret est un objet publicitaire typique du rugby, qu’on ne retrouve nulle part ailleurs. Pour un annonceur, le paramètre le plus important est d’être crédible aux yeux du receveur. L’enjeu tient donc dans le fait d’offrir un produit signifiant qu’il connaît et comprend le public auquel il s’adresse. Les agences-conseil en objets médias ont un rôle essentiel à jouer sur le sujet. Viser juste est vital, car avec l’objet, un annonceur matérialise le lien qu’il possède avec ses clients.
Source du visuel : ICD Business School