La dénonciation médiatique, une menace pour notre secteur
Du « doudoune-gate » de la mairie de Lyon au scandale des mascottes made in China des Jeux Olympiques de Paris 2024, en passant par les posts LinkedIn anti-objets médias, les commentaires font rage ces derniers mois, dans l’espace public, pour pointer notre secteur du doigt.
Par CÉCILE FOUGEROUSE, co-fondatrice de DREAM ACT PRO
Après plusieurs décennies de choix politiques discutables, notre industrie bleu, blanc, rouge s’est évaporée. Mais depuis la crise sanitaire, nous semblons réaliser qu’il est primordial de conserver des savoir-faire et des outils de production sur notre territoire. Le Made in France devient donc à la mode… tout du moins en apparence. Les hommes politiques jouent le jeu des selfies sur un salon du Made In France aux 100 000 visiteurs, abandonnant quelques instants leur masque orné d’un drapeau français, et les bureaux de l’Élysée se préparent à accueillir la Grande Exposition du Fabriqué en France. A première vue, notre pays soutient donc son industrie, en endossant son rôle de consom’acteur.
LE RÔLE DE LA COMMANDE PUBLIQUE
Représentant 200 milliards d’euros en 2020, soit 8 % du PIB, la commande publique a en effet un grand rôle à jouer. Les collectivités, les régions ou les universités, via leurs achats, sont en mesure de mettre en application l’ambition affichée par l’État à l’égard de l’industrie. Yves Jégo, ex-secrétaire d’État et ancien député, a ainsi demandé aux candidats de la dernière élection présidentielle de réserver 25 % des marchés publics à des produits français – cela représenterait 50 milliards d’euros par an.
Regains nationalistes post-Covid, sentiment de perte de souveraineté après des années de mondialisation galopante, ou encore prise de conscience écologique : les raisons pour soutenir les entreprises nationales sont diverses. Outre-Atlantique, le président Joe Biden souhaite par exemple intensifier le « Buy American Act », en appelant les organismes gouvernementaux à effectuer 75 % de leurs achats sur le territoire américain (versus 55 % aujourd’hui).
Devant de telles déclarations, il nous semble logique d’être exigeants en matière d’achat public. Alors quand la mairie écologiste de la ville de Lyon s’affiche avec des doudounes en polyester made in China, la presse et le grand public s’insurgent, et les dénonciations vont bon train. Ces crispations sont le fruit d’une divergence, une fois de plus, entre les promesses politiques et la réalité du terrain. Elles traduisent aussi l’urgence d’action souhaitée par les Français pour une économie plus locale et plus respectueuse de l’environnement.
UN TISSU INDUSTRIEL MAL CONNU
Ces tensions illustrent aussi, hélas, une méconnaissance de notre tissu industriel. En fermant nos usines, nous avons également perdu la connaissance du processus de production des objets et des vêtements qui nous entourent. Comment fabrique-t-on une doudoune ? Quels métiers sont impliqués ? Très peu de Français sont en mesure d’expliquer la naissance du vêtement qu’ils portent sur leurs épaules.
Il en est de même du côté des « experts ». Certains journalistes se contentent de reprendre des communiqués de presse. Au lieu d’analyser les raisons pour lesquelles ces doudounes sont fabriquées en Chine, de présenter un état des lieux de la situation de l’industrie textile en France et de proposer des pistes d’actions constructives, quelques articles exposent des raccourcis accusateurs, qui représentent, à mon sens, une menace pour notre secteur.
En premier lieu, promouvoir la fabrication locale ne signifie pas pour autant le bannissement de toute production asiatique. Il faut faire moins, mais mieux, dans tous les pays et au sein de toutes les industries. Deuxièmement, il ne s’agit pas de juger, mais de comprendre. Après 50 ans de désindustrialisation, nous ne pouvons pas exiger que les filières se recréent en un claquement de doigt.
Le temps de l’action s’avère plus long que celui du discours. La commande publique doit accompagner la relocalisation des filières, mais sans pressuriser les ateliers. Embaucher des collaborateurs en contrat précaire, qui seront licenciés une fois la commande exécutée, n’apporte rien de bon. Ce yoyo dont les ateliers ont pâti durant la crise sanitaire ne constitue pas une solution pour reconstruire durablement notre industrie.
RÉPONDRE D’UNE VOIX COMMUNE
Les dénonciations, sans fondement, sur la place publique mènent au discrédit de notre métier. En nous identifiant comme de simples vendeurs de produits importés et mal conçus, alors que nous représentons un rouage essentiel pour la transformation de l’industrie vers plus de local et d’éco-responsable, l’impact peut être significatif sur notre activité. Car certains acheteurs préfèrent stopper leurs commandes d’objets publicitaires plutôt que de risquer de subir les accusations auxquelles nous faisons face.
Face à cet état de fait, notre devoir, à mon sens, est de répondre d’une voix commune et solidaire. Comment ? Avec toute notre expertise. Avec un grand respect. Avec une pointe d’humour également. N’hésitons pas rappeler notre rôle clé dans la réindustrialisation. Et ne blâmons pas les acheteurs, mais invitons plutôt les pouvoirs publics à se doter des moyens de leurs ambitions.
Développer l’attractivité du secteur industriel et inciter à la formation des jeunes aux métiers techniques incarneraient deux premières étapes essentielles pour aider nos industriels. Autre élément important, le prix compte aujourd’hui, en moyenne, pour 40 à 50 % de la note globale d’attribution des appels d’offres publics. Il serait temps, là aussi, d’intégrer que la recherche du prix le plus bas finit toujours par avoir un coût.
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