Bonjour François, la solidarité à bras le cœur
Dès 2017, ce fournisseur a fait le pari d’une fabrication textile sur le sol français, en confiant la confection de ses produits à des entreprises d’insertion, puis en montant son propre atelier en Bourgogne-Franche-Comté. Quatre valeurs cardinales guident les choix de la direction : solidarité, qualité, accessibilité et transparence.
Qui dit Sochaux, dit Peugeot. Dans l’imaginaire collectif comme en arrivant sur place, dans la ville du Doubs, la marque au lion est partout. Un « Musée de l’Aventure Peugeot », attirant des milliers de visiteurs chaque année, a même été bâti. Les années fastes ayant suivi l’implantation de l’usine PSA en 1910 sont peut-être derrière nous, mais l’agglomération sochalienne reprend de la vigueur depuis quelque temps, notamment grâce au statut de zone d’aide à finalité régionale (AFR), un dispositif européen encourageant l’implantation d’entreprises dans des territoires en difficulté. De jeunes pousses s’installent sur ces terres industrielles historiques, à l’image de GSP Textile, créatrice de la marque BtoB Bonjour François, qui a jeté son dévolu sur la ville d’Etupes, à moins de dix minutes du centre-ville de Sochaux. C’est ici, avec les grands noms Veolia et Derichebourg comme voisins, que le fournisseur a établi son atelier de production. Son siège social est à Feucherolles, en région parisienne, mais le centre névralgique de la société se situe dans le Doubs. Un choix dicté par l’histoire industrielle du département, les attaches familiales du directeur des opérations, mais aussi par des considérations financières. « Monter un atelier en région parisienne, c’est compliqué. Le recrutement est difficile, car les métiers manuels n’attirent pas, et une unité de production en Ile-de-France coûterait 30 % plus cher qu’ ici. Or nous souhaitons rendre le made in France accessible », martèle François Deunf, le fondateur et dirigeant de Bonjour François, qui partage ses semaines entre Paris et Etupes.
Si l’usine fonctionne aujourd’hui à plein régime, l’histoire n’était pas écrite. En 2017, au lancement de Bonjour François, le dirigeant n’envisageait pas de produire en propre. L’entreprise collaborait avec des établissements et service d’aide par le travail (ESAT) et des chantiers d’insertion du Doubs. Son réseau comptait jusqu’à 40 ateliers partenaires. « On a commencé par des produits simples, des tote bags essentiellement, pendant trois ans, et puis le Covid est arrivé, ce qui a complètement changé la donne », explique M. Deunf. C’est à ce moment-là qu’il décide de monter son propre atelier de production. Une décision semblant audacieuse sur le papier, mais, finalement, plutôt cohérente avec la situation inédite de l’époque. Le constat était simple : tous les ateliers français ou presque s’étant lancés dans la fabrication de masques, les besoins en sacs n’étaient plus remplis – alors que Bonjour François continuait à recevoir des commandes. Pour ne pas s’éparpiller, gagner en légitimité et éviter les procès en opportunisme, Bonjour François s’est concentré exclusivement sur la production de sacs, « parce qu’il fallait qu’on prenne de l’avance sur nos concurrents, qu’on devienne experts et compétitifs », affirme le dirigeant. En bâtissant son propre atelier, il se donnait aussi pour objectif de mieux maîtriser l’ensemble de la chaîne de production, du sourcing des matières premières à la livraison. Quelques années plus tard, l’atelier a fait ses preuves. François Deunf se félicite d’avoir monté ce projet avec « beaucoup d’huile de coude, et sans l’appui d’un grand groupe ou d’une famille richissime ». Et il peut se montrer fier du chemin parcouru.
PASSERELLE SOCIALE
Car Bonjour François a gagné la confiance du marché. La marque est reconnue comme crédible, offrant de solides garanties aux revendeurs comme aux annonceurs, grâce à une offre de bon sens – fabriquer en circuit court – et des produits qualitatifs. L’entreprise fait aujourd’hui du made in France de A à Z ou presque, des tissus aux fils de couture en passant par les galons, achetés à une entreprise du patrimoine vivant, jusqu’aux cartons d’expédition. Le tout en proposant des prix compétitifs au marché promotionnel. La clé ? François Deunf s’inspire des meilleurs processus industriels ayant cours en Asie. A 39 ans, le jeune dirigeant a déjà connu plusieurs vies. Au début de sa carrière professionnelle, alors dans le tourisme, quelques mois passés au Vietnam et en Inde lui ont permis de nouer des contacts utiles. « L’Asie possède un savoir-faire textile hors du commun. On a beaucoup appris et on continue d’apprendre des choses en observant le fonctionnement des ateliers sur place, pour être performants, efficaces et compétitifs. On s’en inspire et on applique certaines choses. » Mais il ne s’agit pas de tomber dans le copier-coller. « On adapte les meilleures pratiques au contexte français et à nos besoins, en réalisant de petites optimisations. On produit à la demande, sans stock ou presque. Et il est essentiel d’installer des personnes compétentes à chaque poste. »
Sur un total de 35 collaborateurs chez Bonjour François, les trois quarts officient à la production. Le fournisseur y intègre des personnes éloignées du monde du travail, issues à 90 % des entreprises d’insertion avec lesquelles la marque collaborait, avant d’ouvrir son propre atelier de production. Les compétences et les profils sont divers, entre les as de la couture et les opérateurs chargés des machines automatiques. Et plusieurs nationalités se côtoient harmonieusement au sein de l’atelier de Bonjour François. Serkan, d’origine turque, est là depuis le début de l’aventure, tout comme Anita, qui vient de Bulgarie. Issue d’une entreprise d’insertion à Belfort et entrée dans l’atelier en tant que couturière, elle est désormais cheffe d’équipe. « C’est une belle histoire, car elle progresse pas à pas, explique François Deunf. Son parcours prouve qu’il existe une passerelle entre l’insertion et le monde ordinaire. Nous avons recruté une collaboratrice de qualité et nous libérons une place en insertion. C’est une grande fierté ».
Une zone de l’atelier détonne. Une employée y agit à l’écart des autres, entourée de pièces textiles en tous genres. C’est l’îlot de Sylvie, qui expérimente chaque jour avec les chutes de productions, en mode upcycling. Elle a le champ libre, des idées plein la tête et des mains en or. Son visage s’illumine quand elle parle de son travail. « J’ai la chance d’avoir une totale liberté au quotidien. Ce qui m’intéresse, c’est de travailler la matière, la comprendre, pour savoir vers quoi on peut aller, quelles sont ses limites. Et s’il y en a, essayer de trouver comment les dépasser. » Grâce à Sylvie, le fabricant a créé une marque, Re-Good, dédiée à l’upcycling. Deux fois par mois, un emailing est envoyé à ses clients pour les informer de la disponibilité de nouvelles références, qui sont, par essence, toujours différentes et disponibles en quantité variable, car l’entreprise est tributaire de ce qu’elle récupère. Bonjour François a par exemple transformé les bâches utilisées sur son stand du salon CTCO 2024 en sacs et accessoires.
« Paternaliste assumé », M. Deunf agit en proximité et se montre à l’écoute de ses salariés. Il appelle à un équilibre entre travail et vie personnelle, donne sa confiance et responsabilise, en offrant de la liberté au quotidien à ses employés. Leader par l’exemple, il n’hésite pas à faire un aller-retour entre Etupes et Paris dans la journée, afin de régler un problème. « Ce n’est pas toujours le monde des Bisounours et il faut vendre. Mais je crois fermement qu’il est possible de créer de la valeur en faisant le bien. » En parlant de création de valeur, le statut de fabricant de Bonjour François lui octroie un sérieux atout. Car au-delà d’une production sur stock, cela permet à l’entreprise de développer une offre sur-mesure.La direction entend développer la part de cette activité dans le chiffre d’affaires de l’entreprise – qui se monte aujourd’hui à 15 %. Deux collaboratrices travaillent au bureau d’études, se chargeant du sourcing, du prototypage et du chiffrage. L’entreprise possède tout ce qu’il faut pour répondre aux besoins les plus divers : lin, velours côtelé, toile de jute, matière synthétique, etc. L’idée étant d’inciter ses clients à faire moins, mais mieux, pour une communication ultra personnalisée, et donc plus impactante. Derrière, la production suivra. Le fournisseur a investi dans des machines haut de gamme pour être en mesure de réaliser des articles plus complexes que de simples sacs, tels que des trousses, des pochons ou des tabliers. Entre la trentaine de machines de pointe (surjeteuses, piqueuses), pour certaines développées de manière ad’hoc afin de répondre aux besoins spécifiques de Bonjour François, et des salariés compétents, la productivité est au rendez-vous, atteignant des cadences proches de ce qui se fait de mieux dans les ateliers asiatiques.
SUIVRE À LA TRACE
Au fil de la déambulation dans l’atelier, on sent que François Deunf prend un plaisir non feint à présenter ses employés et son outil de production. L’endroit est grand ouvert aux journalistes, comme à ses clients. Le dirigeant joue à fond la carte de la transparence, pour attester de ses engagements et rassurer certains de ses interlocuteurs. Il faut dire que le made in France prend parfois des contours un peu flous. Depuis qu’il est à la mode, les drapeaux tricolores fleurissent et les allégations sur le sujet se multiplient, parfois trompeuses, exagérées ou non vérifiables, créant de la confusion dans l’esprit des consommateurs ou des revendeurs. C’est là où les certifications et autres labels sont essentiels, accompagnés d’une bonne dose de pédagogie, afin d’expliquer leur teneur et les engagements qu’ils portent. Bonjour François en a collecté quelques-uns, et non des moindres, entre GOTS, GRS et France Terre Textile. Cette dernière distinction est la plus récente. « Nous en sommes ravis, car France Terre Textile correspond réellement à notre activité, garantissant un minimum de 75 % des étapes de fabrication effectuées dans l’Hexagone. Il s’agit du label le plus méconnu du marché, alors qu’il est pourtant celui qui possède le plus de crédit dans le textile », détaille François Deunf. Pour l’anecdote, Bonjour François a obtenu le label France Terre Textile en étant rattaché à l’Alsace, dont le territoire pointe à 30 kilomètres de là, tout en étant basé en Bourgogne-Franche-Comté. Le signe d’un atelier ovni dans le paysage économique français.
Chose rare sur le marché promotionnel, la blockchain, cette technologie permettant de garder la trace d’un ensemble de transactions de manière décentralisée, sécurisée et transparente, est aussi explorée par Bonjour François, et ce depuis plusieurs années. « Aujourd’hui, on parle sans cesse de traçabilité et de sécurité du sourcing, pose le dirigeant. Or la blockchain nous permet de maîtriser ces points. Elle intéresse nos voisins suisses, allemands et l’Europe du Nord, mais pas encore les Français. Il faut qu’on innove par les produits, mais également par le service, en offrant conformité et traçabilité, pour devenir un média fort et crédible auprès des annonceurs. Je ne veux pas être un extraterrestre, je souhaite que des marques comme la nôtre deviennent la norme. » Cela ne sera pas si évident, car Bonjour François ne compte pas s’arrêter là. Comme un pas supplémentaire vers une transparence totale, un calcul de l’impact environnemental des produits, via l’analyse du cycle de vie (ACV), est en cours. Bonjour François y travaille avec un organisme indépendant et les résultats seront bientôt révélés. L’entreprise devrait également, sous peu, se pencher sur la certification B Corp. Quoi d’autre ? « Il n’existe aucun label attestant d’une production 100 % française, mais si c’était le cas, nous serions déjà labellisés, affirme M. Deunf dans un sourire. Plus sérieusement, on a déjà assez de certifications pour être crédibles et affirmer qu’on met sur le marché des produits responsables. »
Sous l’impulsion d’une demande croissante, qui ne semble pas souffrir de la contraction du made in France observée dans le BtoC, l’atelier va monter en puissance, pour tendre vers un modèle de plus en plus industriel. Un passage de la production en 2×8 et une extension des locaux sont envisagés, car les 700 m² actuels ne suffisent plus. Du côté de l’offre, le tissu import va totalement disparaître de la gamme de Bonjour François. Il ne représentait que 2 % dans la cinquantaine de références du catalogue, mais la direction tient à ce changement, afin de proposer un service 100 % local. Et une nouvelle marque de GSP Textile, qui n’a pas trait au made in France, sera révélée dans les jours qui viennent. Plus abordable, car le prix demeure un argument fort sur le marché promotionnel, elle s’inscrira en complémentarité du catalogue de Bonjour François. Une usine a été montée à cet effet en Inde. Car, encore une fois, si François Deunf s’affirme comme l’un des protagonistes du made in France, il ne jette pas la pierre sur la fabrication asiatique. Cette offre textile made in India sera toutefois lancée avec beaucoup de précaution, dans le respect des travailleurs locaux et avec des produits de qualité, conformes aux normes internationales les plus exigeantes. « Nous allons proposer du sur-mesure avec une valeur écologique, comprenant des références issues de matières éco-responsables, bio ou recyclées. Des certificats et des labels en attesteront. Il s’agit de produits importés, certes, mais fabriqués dans de bonnes conditions. C’est un service en plus, élargissant notre offre auprès des revendeurs, qui contribuera à notre développement global. » Une façon de nourrir de futurs investissements et recrutements à 7 000 kilomètres de là, au sein d’un atelier solidaire du Doubs.
Source des visuels : Bonjour François.