Coton bio : Mantis World soutient les fermes en conversion
Face aux pénuries de coton biologique et à la crise structurelle de l’offre qui touche la filière, la société Mantis World, pionnière de l’utilisation de coton organique sur le marché du textile promotionnel, soutient l’utilisation de coton « en conversion » et accompagne les cultivateurs dans ce processus de transition qui, en moyenne, dure trois ans. Entretien avec Prama Bhardwaj, Pdg de Mantis World.Dirigée par Prama Bhardwaj, la société britannique Mantis World soutient les fermes en conversion pour faire face à la crise du coton biologique.
Comment gérez-vous, chez Mantis World, la hausse du prix du coton biologique depuis le début de l’année ?
Le prix du coton biologique a commencé à augmenter fin 2020. Traditionnellement, le prix de l’organique est corrélé au prix du coton conventionnel. Mais avec une hausse de plus de 50 % début 2021 sur le biologique, alors même que le conventionnel subissait aussi une inflation, les courbes ont commencé à être décorrélées. Nous avions alors six mois de production assurée, mais à un moment, il faut bien retourner sur le marché des matières premières.
Nous avons absorbé la hausse pendant un temps, afin d’éviter que les clients ne se tournent vers le conventionnel. Puis nous avons commencé à répercuter la tendance sur nos propres prix à partir du mois d’avril, avec une hausse de 8 à 10 %, un peu plus importante que celle du marché (entre 4 à 6 %) qui devra cependant procéder à un rattrapage plus fort que nous en fin d’année. Car une nouvelle augmentation pourrait intervenir début 2022.
Cette tension sur le marché du coton organique est-elle conjoncturelle ou structurelle ?
Les deux. L’an dernier, le marché a été sérieusement ébranlé par des accusations de violations des droits humains dans des fermes du Xinjiang, en Chine, et par un scandale de fraude très sophistiquée à la certification biologique en Inde. Or, ces deux pays pèsent pour 68 % de la production mondiale de coton organique. Partout dans le monde, marques et gouvernements ont pris des mesures pour bloquer toute production de coton biologique en provenance de la province du Xinjiang, tandis que les organismes certificateurs, au premier rang desquels GOTS (Global Organic Textile Standard), ont retiré du marché la production frauduleuse indienne, qui représentait plus de 20 000 tonnes, soit quasiment 10 % de la production mondiale ! Cela a entraîné un trou d’air dans la chaîne. Mais si les prix du conventionnel et de l’organique se suivaient à des niveaux si bas depuis tant d’années, c’est bien qu’il y avait un problème quelque part. Il était possible de produire un tee-shirt en coton bio pour le prix d’un café, ce n’était pas normal. Cette hausse des prix est sûrement une correction.
Mais dans le même temps, la filière du coton bio connaît une vraie crise structurelle de l’offre. Mantis fait du coton organique depuis 2005, et nous sommes passés au 100 % bio en 2019. Cependant, ce processus s’est étalé sur plusieurs années, afin de signaler à nos fournisseurs que nous aurions besoins de volumes beaucoup plus conséquents et leur laisser ainsi une chance de se préparer. Or, beaucoup de grandes marques et d’enseignes, qui voyaient jusqu’ici le coton bio comme un outil marketing, se sont subitement mis à utiliser beaucoup plus de fibres durables, dont le coton bio, pour répondre aux enjeux de la crise environnementale. Si ce virage est important et doit être souligné, ce changement soudain et massif n’a pas permis à la filière de répondre à la demande. Actuellement, seules 0,7 % des surfaces cultivées pour le coton le sont en organique.
Alors comment répondre à ce défi ?
Il est nécessaire aujourd’hui de se tourner vers les fermes en phase de conversion à l’agriculture biologique et de les accompagner. Il faut en moyenne trois ans, selon les pays, pour convertir entièrement une ferme à la culture organique. Lorsque les cultivateurs entament un processus de conversion, ils appliquent dès le départ, presque du jour au lendemain, des pratiques entièrement dédiées à la culture organique, notamment l’arrêt total des pesticides et fertilisants utilisés dans le conventionnel. Le coton alors récolté pendant ces trois ans est appelé coton en conversion. Cependant, les fermes peuvent subir des baisses de rendement au cours des années de transition, sans toutefois bénéficier des prix du coton bio. Alors que de nombreuses fermes luttent déjà pour leur survie, ce processus de trois ans peut être perçu comme trop long et risqué pour certains cultivateurs. Ces derniers ont donc besoin que leur coton soit perçu différemment et mieux considéré par le marché.
À l’instar de certaines marques retail engagées, comme Patagonia ou Eileen Fisher, qui utilise désormais du coton en conversion dans leurs collections, Mantis World soutient et accompagne les cultivateurs qui se lancent dans ce processus de transition, entraînant une hausse rapide du prix de ce coton. Les fermes sont ainsi récompensées dès le début de la phase de conversion, au même titre que celles qui ont déjà accompli le travail et obtenu les certifications. Aider les cultivateurs à vivre décemment de leur coton pendant la phase de conversion va encourager une nouvelle génération à s’engager dans la culture organique dans les années à venir. C’est un combat important, car si les bénéfices de l’agriculture organique sont énormes par rapport au conventionnel, nombre de ces avantages sont déjà présent dans l’agriculture en conversion. Dès le début du processus, les cultivateurs font clairement la différence en termes d’environnement, en mettant en œuvre des pratiques biologiques. Cela signifie aussi qu’ils ne s’exposent plus à des produits toxiques qui peuvent mettre en danger leur santé et celle de leur famille.
Le coton « en conversion » devra-t-il être labellisé lui aussi ?
La transparence de la chaîne d’approvisionnement est la pierre angulaire d’une production éthique et durable. Sans transparence, il ne peut y avoir de légitimité. Ce que Mantis World s’est toujours efforcé de faire, en fournissant à ses clients toutes les informations nécessaires. Aujourd’hui, les deux principaux organismes certificateurs – GOTS et OCS (Organic Content Standard) – reconnaissent le rôle important que le coton en conversion devrait jouer dans les années à venir. Aujourd’hui, la certification OCS ne permet pas encore aux vêtements fabriqués à partir de coton en conversion d’être officiellement labellisés, même si toute la documentation nécessaire est à disposition des clients et que les étiquettes peuvent être marquées du sceau « en conversion ». Mais avec la hausse de l’intérêt des marques et de la demande pour ce coton, les organismes certificateurs détiennent certainement la clé qui permettra de donner confiance aux consommateurs.
Quels sont aujourd’hui les autres enjeux de la filière ?
La culture de coton OGM en Afrique, continent jusqu’ici relativement préservé, représente un gros enjeu. L’organisation internationale Textile Exchange – qui gère les normes OCS et GRS (Global Recycled Standard), et qui promeut les matières textiles durables, dont le coton bio – a publié en 2020 un livre blanc faisant état de ses préoccupations liées à une récente hausse de l’adoption du coton transgénique en Afrique. Aujourd’hui, sept des 54 pays africains autorisent la production de coton OGM, quatre ont choisi de l’interdire (Algérie, Burkina Faso, Égypte et Madagascar), tandis que beaucoup d’autres pays sont en phase de réflexion.
En tant que fournisseur en vêtements biologiques, nous sommes conscients des besoins des marques comme des fournisseurs pour une filière de coton biologique transparente, traçable et dépourvue de coton transgénique. Ce que nous avons le privilège d’avoir eu depuis des années en Afrique. Ce livre blanc expose clairement les opportunités et les risques auxquels sont confrontés les responsables politiques africains en matière d’agriculture, alors que les marques cherchent à créer des filières d’approvisionnement durables plus diversifiées suite à la crise du Covid-19. Les pays africains sont à la croisée des chemins : ils doivent décider de continuer ou non l’adoption du coton transgénique. J’espère qu’ils choisiront de se tourner vers le coton non OGM et organique.