Le sport, une opportunité en or ?
Avec la Coupe du Monde de Rugby 2023 et les Jeux Olympiques 2024 en ligne de mire, la France accueillera deux manifestations sportives d’envergure internationale en moins de douze mois. Sans oublier l’incontournable Tour de France, qui fêtera ses 120 ans en juillet prochain. Des millions d’objets médias seront distribués à l’occasion de ces trois évènements, permettant de valoriser l’expertise des acteurs français du secteur. Si à la manière des grandes compétitions sportives, il y a beaucoup d’appelés, mais peu d’élus, une chose est sûre : la responsabilité des objets distribués s’inscrit au cœur des enjeux.
Le sport véhicule incontestablement des valeurs fortes et positives. Entre solidarité, dépassement de soi, ou encore émancipation, le sport fédère. Fort de tels atouts, il séduit un large spectre de profils d’entreprise, des multinationales aux PME, qui voient dans les manifestations sportives une opportunité de communication séduisante. « Le sport est un terrain de communication prisé par les marques. Il porte des valeurs signifiantes, qui sont d’ailleurs transposables dans le monde de l’entreprise, et les marques sont aujourd’hui de plus en plus attentives pour s’inscrire en cohérence avec ces valeurs », explique Benjamin Stetten-Pigasse, dirigeant d’Affective, une agence-conseil en objets médias bien implantée dans le sport, issue de la fusion de Weematch et Pimp My Team en 2021.
IMPASSE SUR LE MONDIAL DE FOOTBALL
Ce besoin de cohérence explique en grande partie pourquoi la Coupe de Monde de football au Qatar n’a généré que peu d’intérêt de la part des annonceurs sur le marché de l’objet publicitaire. Ou pourquoi les sponsors de l’évènement, français notamment, se font discrets. En cause, une image désastreuse auprès du grand public, liée aux polémiques légitimes autour du mépris des droits humains et de l’environnement affiché par les autorités qataries, mais pas seulement.
SG Ball, fabricant français de ballons de sport personnalisés, note d’autres raisons expliquant le fiasco de la Coupe du Monde. « La temporalité joue également car, dans l’inconscient collectif, une compétition de football se déroule en juin. Et si on ajoute à cela l’impact d’une météo automnale, on perd encore un peu plus en attrait », analyse Clément Prunier, responsable commercial chez SG Ball.
Le secteur de la grande distribution, habituellement friand d’objets publicitaires pour distribuer des primes à l’achat auprès de ses clients, était par ailleurs accaparé par le temps fort traditionnel des fêtes de fin d’année. La communication autour du Mondial de football, entre enthousiasme limité et agenda surchargé, est donc passé à la trappe dans la plupart des supermarchés.
Si de nombreux annonceurs ont, sans regret, fait l’impasse sur la Coupe du Monde au Qatar, ils se passionnent en revanche pour deux événements sportifs se tenant quelques mois plus tard : la Coupe du Monde de rugby 2023, du 8 septembre au 28 octobre, et les Jeux Olympiques de Paris 2024, qui se tiendront entre le 26 juillet et le 11 août. Deux manifestations majeures, qui, au-delà de leur prestige et de leur impact planétaire, séduisent d’autant plus les annonceurs car elles sont organisées sur le territoire français.
TENUE EN FRANCE
Quelques années en arrière, le secteur de l’objet média avait déjà profité de l’attrait d’une compétition sportive internationale organisée en France. « Nous avons enregistré un pic d’activité indéniable lors de l’Euro de football 2016, rembobine Clément Prunier. A l’occasion de ce type d’évènement, même les entreprises qui n’ont habituellement aucun lien avec le sport se lancent dans la communication par l’objet, car elles souhaitent surfer sur l’engouement populaire. »
Les compétitions sportives internationales, peut-être plus que tout autre évènement, touchent en effet l’ensemble des Français. Créatrices d’émotions partagées, vecteurs de fierté, elles transcendent les différences d’âge, de sexe ou d’origine. Et l’engouement populaire est d’autant plus important lorsque l’évènement se déroule sur notre sol. Selon une étude menée par l’institut d’études Kantar à l’automne 2022, 76 % des Français envisagent ainsi de suivre les compétitions des Jeux Olympiques de Paris 2024.
L’opportunité de communication est belle pour les annonceurs. Et ce d’autant plus que la même enquête nous apprend que 68 % des personnes interrogées jugent que la mention des JO dans la communication d’une marque leur donne une aura positive. Une raison majeure est avancée pour justifier cette image favorable : les valeurs portées par l’évènement, entre universalisme, fraternité et santé.
Concentrés sur moins de douze mois et ardemment courtisés par les annonceurs, les Jeux Olympiques 2024, comme la Coupe du Monde de rugby 2023 ou le Tour de France 2023, représentent une opportunité économique inédite pour les acteurs français de l’objet média. Mais si les appels d’offre sont ouverts à tous, certaines entreprises partent avec une longueur d’avance.
DIMENSION CONSEIL
L’agence-conseil Affective, via sa moitié constitutive Weematch, possède un indéniable ADN sportif. L’entreprise s’est construite en accompagnement de marques partenaires de grandes manifestations telles que le Tour de France. Il y a une quinzaine d’années, Bouygues Telecom fut ainsi le premier client de l’agence, dans le cadre d’une activation au sein de la caravane publicitaire.
Pour des évènements sportifs récurrents tels que la Grande Boucle, certains annonceurs historiques ne remettent pas en question leur communication, en proposant chaque année le même produit. Mais la différenciation semble essentielle pour gagner des appels d’offre. « Nous nous efforçons de proposer des concepts créatifs originaux sur le Tour de France, année après année, explique Benjamin Stetten-Pigasse d’Affective. Škoda, avec qui nous avons collaboré sur plusieurs éditions, a ainsi été séduit par notre proposition de casquettes vintage, qui tranchait avec les bobs offerts habituellement ».
La dimension conseil des agences d’objets médias prend toute son importance pour apporter de la valeur aux produits distribués lors d’évènements sportifs. Qu’il s’agisse d’une réflexion sur le design graphique, sur les propriétés intrinsèques du produit, ou sur sa filière de fabrication, les agences comme Affective ne se limitent pas à la simple exécution d’un brief. In fine, l’objet ainsi conçu créera un lien plus fort avec le public receveur.
Une démarche professionnelle et une façon, aussi, pour les entreprises du secteur de réassurer les annonceurs, qui investissent bien souvent des sommes conséquentes lors d’évènements sportifs internationaux. Dans ce cadre exigeant, un élément en particulier prend de plus en plus d’importance dans le cahier des charges des demandes de communication par l’objet : la responsabilité environnementale des produits distribués.
L’OBJET, FUSTIGÉ À TORT
Les évènements sportifs d’envergure internationale attirent par essence des supporters et des visiteurs du monde entier. Or dans ce contexte, l’impact environnemental lié aux déplacements constitue la problématique la plus prégnante. En effet, selon l’entreprise française 17 Sport, qui œuvre à plus de sobriété écologique dans le secteur, 80 % des émissions carbone d’un évènement sportif sont liées aux transports.
Les objets publicitaires distribués lors de grandes manifestations sont pourtant souvent montrés du doigt, par la seule force de ce qu’ils représentent. « Les objets médias ne sont pas le cœur de la problématique environnementale de ces évènements sportifs, mais ils sont symboliques, car les spectateurs repartent chez eux avec les produits offerts », avance Alexis Krycève, dirigeant du fournisseur Gifts for Change.
Ces dernières années, le monde du sport tente d’agir en matière d’engagements RSE. Le Tour de France, qui cristallise la crispation autour des questions environnementales, a par exemple engagé de nombreuses actions. Amaury Sport Organisation (ASO), le détenteur des droits de l’évènement, impose notamment des normes strictes pour la caravane publicitaire, sur la nature des produits distribués comme sur leurs emballages – 90 % des packagings plastiques ont été supprimés. Au global, ASO affirme avoir réduit ses émissions de CO2 de 40 % entre 2013 et 2021.
Dans le sillage de l’organisateur, les annonceurs suivent. L’iconique bob Cochonou, attendu chaque année par les 10 millions de spectateurs massés sur les 3000 kilomètres du parcours, est ainsi réalisé en coton recyclé depuis 2021. Deux ans plus tôt, la Française des Jeux s’est distinguée par une opération spéciale menée en partenariat avec Groupama. Sur conseil d’Affective, l’annonceur a offert 500 porte-clés en bois, fabriqués en France, dans un ESAT.
UNE COUPE DU MONDE À « IMPACT POSITIF »
Au-delà d’un impératif écologique, le mouvement de fond s’opérant dans l’évènementiel sportif répond aussi au besoin d’alignement entre les valeurs portées par le sport et les pratiques des annonceurs. « On ne peut pas promouvoir la solidarité ou la santé, en éludant dans le même temps la question environnementale. C’est pourquoi les évènements sportifs représentent un contexte opportun pour faire preuve de responsabilité », souligne Alexis Krycève.
Les évènements sportifs internationaux à venir sur notre territoire affichent d’ailleurs clairement leurs ambitions RSE. La Coupe du Monde de rugby 2023 promet ainsi un « impact positif ». En clair, France 2023 souhaite maximiser l’impact économique dans les territoires, tout en minimisant l’impact écologique de la compétition. Le comité d’organisation s’engage notamment à privilégier les achats responsables, locaux et éthiques.
Cet engagement s’illustre dans le choix de M Com, un revendeur d’objets médias lyonnais, pour accompagner la communication des parties prenantes de la Coupe du Monde 2023. Si M Com, qui travaille sur le dossier depuis l’été 2021, a séduit les organisateurs par son savoir-faire historique dans le monde de l’objet publicitaire rugby, son positionnement responsable fut également décisif.
« Les enjeux RSE de France 2023 sont en ligne avec notre façon d’opérer. Nous développons les circuits courts, en particulier pour les productions textiles, que nous sourçons majoritairement en Europe, et nous sommes en veille constante pour dénicher les produits les plus responsables », analyse William Goos, account manager chez M Com.
Signe que le rugby attire les annonceurs, le distributeur avait atteint ses objectifs de ventes dès novembre 2022, soit près d’un an avant l’évènement. Il faut dire que le rugby bénéficie d’une image positive auprès du grand public, bien meilleure que celle du football par exemple. « Et des valeurs inhérentes au rugby comme l’exaltation de l’effort collectif et le courage face à l’adversité sont autant de caractéristiques dans lesquelles les entreprises aiment se retrouver », plaide Clément Prunier de SG Ball.
LES JO 2024 EN POINTE SUR LA RSE
Peut-être plus encore que France 2023, le comité d’organisation des Jeux Olympiques 2024 porte l’ambition d’un évènement écologiquement et socialement responsable. Le siège même de l’organisation, à Saint-Denis, se présente comme une valeur étalon en termes de responsabilité : 60 % des prestataires sont issus de l’économie sociale et solidaire, deux tiers des salariés sont en insertion et 25 % des effectifs de maintenance technique des prestataires sont en situation de handicap.
Pour ses achats, Paris 2024 a ouvert les marchés à tout type d’entreprises, quelle que soit leur taille. L’objectif de l’organisation étant de mobiliser l’ensemble du paysage économique français, des multinationales aux entreprises unipersonnelles. La réalité du terrain prouve qu’il ne s’agit pas d’une posture : à date, deux tiers des entreprises prestataires qui travaillent ou travailleront pour l’organisation des Jeux sont des TPE/PME.
Profitant de cette ouverture, la société Dream Act, distributeur d’objets publicitaires responsables, a gagné deux appels d’offre pour Paris 2024. « Lors de l’arrivée de la flamme olympique en France, des drapeaux ont été déployés sur tout le territoire dans le but de créer une fresque sur Instagram. Nous avons été retenus pour coordonner leur fabrication en Bretagne, en PET recyclé, et pour les router auprès de plusieurs partenaires », relate Cécile Fougerouse, co-fondatrice de Dream Act.
Autre opération menée par l’entreprise basée à Montreuil (93), un kit d’objets à destination des écoles a été conçu lors du lancement de « Génération 2024 », la plateforme éducation de Paris 2024. Une solution 100 % made in France a été soumise par Dream Act, du sac en fibre recyclée tissé à Charlieu (42) aux tableaux d’activités réutilisables fabriqués en région parisienne. Le tout a été conditionné en ESAT et 10 000 kits ont été envoyés dans les établissements scolaires partenaires.
TRANSPARENCE PLUTÔT QUE MADE IN FRANCE ?
Le désir de responsabilité et le souhait d’ancrage local affichés par les organisateurs d’évènements sportifs et les annonceurs n’est toutefois pas toujours simple à mettre en œuvre. Des problématiques de capacité de production ou d’approvisionnement en matières premières peuvent par exemple influer, comme dans le cas de la peluche mascotte des JO 2024 vendue au grand public, qui sera fabriquée entre la France et la Chine.
Le manque de savoir-faire en Europe joue également un rôle. Yannick Salvetti, dirigeant du fournisseur Armaçao, confirme cet état de fait pour certains produits : « Les casquettes premium, par exemple, demandent une qualification et une expérience particulières, qu’on ne retrouve qu’en Asie. » Le constat est le même pour les ballons de rugby. « Nos ballons sont fabriqués en Inde, car le savoir-faire historique pour ce type de produit se concentre dans le pays. C’est un gage de qualité », justifie Clément Prunier de SG Ball.
Plutôt qu’une production made in France à tout prix, certains annonceurs se replient vers des filières de fabrication plus lointaines, mais sous certaines conditions. « Dans le cadre d’appels d’offre pour des évènements sportifs d’envergure, nos revendeurs exigent de plus en plus de traçabilité et de transparence sur les productions. Des normes et des certifications reconnues à l’international doivent être impérativement présentées », précise Yann Thaumiaud, responsable commercial au sein du fabricant de carnets Intemporel.
Encore une fois, la dimension conseil des agences s’avère essentielle pour aiguiller les annonceurs. « Il faut savoir expliquer à nos clients qu’une fabrication en France, aussi souhaitable soit-elle, ne représente pas toujours la solution idoine. Nous devons exposer le champ des possibles, en toute transparence, pour offrir le meilleur choix », affirme Benjamin Stetten-Pigasse d’Affective.
DÉTENIR LES DROITS… OU PAS
Si certaines entreprises, telle que M Com, profitent d’une licence officielle pour distribuer des produits estampillés France 2023, d’autres entreprises saisissent l’opportunité du moment, sans détenir de droits. Sur le plan légal, rien n’interdit SG Ball, par exemple, de produire des ballons de rugby à l’approche de la Coupe du Monde. L’absence de sceau officiel sur les produits est même perçue comme un avantage par l’entreprise.
« L’intégralité de la surface du ballon peut être exploitée pour afficher l’identité d’un annonceur, sans être parasitée par un autre logo, clame Clément Prunier. Le ballon officiel de la compétition est peut-être plus prestigieux et perçu par un client comme ayant une valeur plus importante au moment du don, mais une personnalisation totale peut faire la différence en termes de persistance de communication. »
Détenteurs d’une licence ou non, les acteurs de l’objet média ne peuvent en revanche pas exploiter des marques ou des slogans déposés à l’INPI, tel qu’un simple « Allez les Bleus ». La 2FPCO veille au respect de ces règles, en informant avec précision ses adhérents sur le sujet. « Nous souhaitons protéger nos membres et les détenteurs de droits, souligne Antony Villeger, président de la 2FPCO. La vocation de la fédération tient dans la promotion des bonnes pratiques et notre premier réflexe, des fournisseurs aux distributeurs en passant par les marqueurs, doit être de vérifier la disponibilité d’une marque avant de l’utiliser. »
Ne pas s’y astreindre mettrait en péril tout le secteur, car un annonceur mal conseillé, émetteur d’un objet considéré comme une contrefaçon, ne fera ensuite plus appel à ce type de communication. De la même façon, un ayant-droit trompé pourrait, à raison, jeter l’opprobre sur la profession. De la contrainte pourrait toutefois jaillir un bénéfice, selon Antony Villeger : « L’interdiction d’utiliser des slogans déposés incite les agences-conseil à développer leur créativité pour définir de nouveaux messages, donc cela valorise leur expertise. »
Source des visuels : 656 Editions, Gift for Change, Dream Act, Affective, Intemporel, Armaçao Design.