Rick Passenier, co-fondateur GO!PHA : « Les produits haptiques sont un formidable moyen de rendre tangibles les avantages des PHA »
Un matériau fabriqué par des bactéries, qui convient aux applications les plus diverses et qui se dissout intégralement dans la nature ? Ce qui semble tout droit sorti d’un conte de fées pourrait révolutionner l’industrie du plastique. Les polyhydroxyalcanoates (PHA) offrent d’énormes avantages par rapport aux polymères traditionnels à base d’huile, mais également vis-à-vis des bioplastiques. De nombreux produits en PHA existant déjà, y compris dans le secteur des articles promotionnels. Rick Passenier, co-fondateur et membre du comité directeur de Global Organization for PHA (GO!PHA) – organisme à but non lucratif qui promeut le développement et l’adoption des PHA dans l’industrie et le secteur des produits manufacturés – nous explique ce qui est nécessaire pour une utilisation de cette matière à plus grande échelle.
Une question de profane pour commencer : les PHA, qu’est-ce que c’est ?
Il est parfois compliqué de parler des polyhydroxyalcanoates (PHA) sans entrer dans des détails d’ordre scientifique. Sous leur forme naturelle, les PHA sont des polymères que l’on retrouve partout dans la nature, et plus précisément comme un produit fabriqué par certaines bactéries. Bactéries qui, comme les PHA, existent sur terre depuis bien plus longtemps que la vie humaine. Il existe différents types de bactéries qui produisent des PHA et se nourrissent de substances riches en carbone. Dans les bonnes conditions, elles procèdent à une biosynthèse et conservent des PHA dans leur organisme comme une réserve énergétique. Ces PHA restent dans les bactéries. Néanmoins, on peut tirer parti de ce processus biochimique en alimentant une très grande quantité de ces bactéries avec de la nourriture riche en carbone, pour finalement en extraire les PHA.
Quels sont les processus de fabrication industrielle de PHA ?
Diverses méthodes existent, mais toutes incluent des bactéries qui produisent les substances inhérentes au groupe de matériaux des PHA. Il n’y a donc pas un PHA, mais plusieurs, qui se distinguent par leurs propriétés, comme c’est aussi le cas des polymères synthétiques. En fonction des bactéries et des substances dont on les nourrit, différents types de PHA voient le jour, qui conviennent à différentes applications. Le plastique est une famille de polymères. Les PHA sont un pendant naturel, à partir desquels on obtient diverses matières et fonctionnalités, via différentes méthodes de fabrication et conditions de départ. Est-il possible d’exercer une influence sur les propriétés d’un plastique PHA fini, à travers le type de bactérie et sa nourriture ? En principe, oui. Pour dire les choses simplement, il existe par exemple des bactéries qui, si elles se nourrissent de substances plus complexes, produisent également des matériaux plus complexes.
De nombreuses entreprises produisent déjà des PHA dans une perspective commerciale. Plusieurs d’entre elles sont d’ailleurs membres de GO!PHA. Concrètement, comment se passe une production ?
Les entreprises productrices de PHA disposent de réservoirs, qui sont régulièrement récoltés. À l’intérieur, ce sont des micro-usines biologiques qui font le travail : les bactéries. La nature regorge d’organismes qui fabriquent des PHA. Il s’agit de trouver le bon et de lui faire produire un matériau doté de certaines propriétés, en adaptant et en optimisant sans cesse les paramètres de la micro-usine. On y parvient par exemple en choisissant la nourriture, qui peut se composer d’huile végétale, d’huile de cuisine usagée ou même de déchets alimentaires. On imite un système de production naturel et on le transforme en un système industriel standardisé. Dès que les bactéries ont formé de grandes quantités de PHA, leur structure cellulaire est détruite et on extrait les PHA pour les travailler.
Le PHA est déjà présent sur le marché des produits promotionnels : le corps des stylos QS40 (qui a remporté un iF Design Award 2022) et DS8 True Biotic du fabricant suisse d’instruments d’écriture Prodir, sont constitués du plastique naturel innovant.
Où trouve-t-on ces bactéries ?
Il existe des environnements naturels dont on sait qu’ils renferment les espèces adéquates. L’une de nos entreprises membres recueille ainsi les bactéries nécessaires à son usine sur une côte française. Mais la recherche ne fait que commencer.
De quelles quantités parle-t-on ?
L’industrie des PHA est encore balbutiante. Comparée à l’ensemble de l’industrie plastique, elle est infime, mais croît très rapidement. Et on s’attend à une nouvelle accélération de sa croissance pour les années qui viennent. À l’heure actuelle, les gros producteurs peuvent fournir près de 5000 tonnes chaque année. Ce volume pourrait passer à 20 000, voire 50 000 tonnes dans un futur proche.
Quels sont les avantages des PHA par rapport aux autres polymères naturels, à base de maïs ou de canne à sucre par exemple ?
Deux critères déterminants permettent de distinguer et d’évaluer les plastiques qui ne résultent pas d’une synthèse du pétrole : leur caractère biologique, qui repose sur le matériau de départ, et leur biodégradabilité, qui renvoie à leur élimination. Les PHA sont une matière première qui présente une diversité extrême pour l’un comme pour l’autre critère. Les PHA peuvent être produits à l’aide de presque tous les aliments riches en carbone dont l’utilisation en industrie s’avère rentable et efficiente. Il peut même s’agir de CO2, de gaz naturel, d’huile de cuisine ou de déchets organiques. Quant aux options de fin de vie, les PHA sont bien plus polyvalents que tout autre bioplastique. Ils peuvent être recyclés par voie mécanique ou chimique. Et un compostage complet est aussi possible, dans certaines conditions industrielles, mais aussi dans un bac à compost personnel, dans la nature ou dans des décharges traditionnelles. De plus, les PHA se désagrègent totalement, tant dans l’eau douce que l’eau de mer, sans aucun résidu. Il s’agit donc d’une matière parfaitement conforme aux concepts de durabilité, sur l’intégralité du cycle de vie des produits.
Le plastique est une famille de polymères. Les PHA sont un pendant naturel, à partir desquels on obtient diverses matières et fonctionnalités, via différentes méthodes de fabrication et conditions de départ.
Par rapport aux polymères à base de pétrole, les PHA présentent-ils des inconvénients qui pourraient faire obstacle à un emploi à plus grande échelle ?
Les plastiques à base de pétrole présentent l’avantage d’être étudiés et perfectionnés depuis des décennies. Nous sommes convaincus qu’avec les PHA, presque tout est possible dans le domaine du plastique – des textiles à base de PHA font, par exemple, l’objet de recherches actuellement – mais d’une manière générale, les développements n’en sont qu’à leurs balbutiements. Pour faire avancer les choses, un précurseur industriel de poids et financièrement solide est nécessaire. Comme partout ailleurs, il en va des coûts. Les PHA sont encore près de deux fois plus coûteux que les autres plastiques. Plus on en produit, plus les capacités et le niveau d’automatisation des fabricants augmente, plus les prix deviennent évidemment compétitifs. Aujourd’hui, on constate déjà une diminution des prix.
Comment adapter les plastiques PHA aux différentes finalités d’usage, sans restreindre leurs avantages écologiques ?
Nous voici à nouveau dans le vaste éventail des PHA et l’interaction complexe des bactéries, aliments et processus de transformation. Quoiqu’assez fragiles, et donc incompatibles avec certaines applications, les PHA peuvent être transformés et sans cesse adaptés, comme les autres polymères. Bien entendu, on a toujours besoin d’additifs, ne serait-ce que pour les colorants : la tâche consiste alors à choisir des alternatives naturelles. Comme pour d’autres plastiques, les producteurs doivent trouver, avec leur fabricant de matière première, le matériau adapté à leur produit et à leur méthode de fabrication.
Avantage des PHA, par rapport aux plastiques conventionnels : le matériau se dissout complètement dans l’eau douce et dans l’eau salée, sans laisser de trace. Il constitue donc une alternative écologique crédible aux articles jetables en plastique.
Dans quels domaines de produits peut-on déjà recourir efficacement aux PHA et où les rencontre-t-on fréquemment ?
Le spectre s’étend des produits à usage pratique, comme les instruments d’écriture, les tasses ou les accessoires, jusqu’à un large éventail d’emballages ou d’applications spéciales, comme les filtres solaires dans les crèmes. Les PHA étant d’origine naturelle, nombreux sont ceux qui se concentrent uniquement sur leur élimination qui ne pose aucun problème. Nous essayons toutefois d’élargir la question. Bien des produits en PHA, comme des objets domestiques, peuvent être utilisés des années durant. Mais de nombreux champs d’application sont justement envisageables parce que les PHA se dissolvent très bien : on pense par exemple aux sacs de courses compostables ou aux capsules de café, qui sont déjà bien souvent en PHA. Les PHA sont également employés depuis longtemps dans le domaine biomédical, notamment pour les fils chirurgicaux résorbables.
Le fabricant suisse d’instruments d’écriture Prodir a développé, en collaboration avec GO!PHA, un stylo dont le corps se compose à 100 % de PHA : le QS40 True Biotic. Comment ce partenariat est-il né ?
L’un de nos partenaires communs, une entreprise italienne de transformation du plastique – qui produit, entre autres, des composés à base de PHA – nous a mis en contact, car Prodir souhaitait devenir membre de GO!PHA. Nous avons discuté de ce que nous pouvions nous apporter mutuellement. Il a notamment été question que Prodir produise un instrument d’écriture pour GO!PHA, que nous utiliserions à des fins de marketing. Désormais, nous utilisons le QS40 True Biotic comme article publicitaire et je l’ai toujours sur moi, car les produits haptiques sont un formidable moyen de transmettre des contenus abstraits et de rendre tangibles les avantages des PHA, au sens littéral du terme.
Les PHA sont une matière parfaitement conforme aux concepts de durabilité, sur l’intégralité du cycle de vie des produits.
À l’avenir, d’autres fabricants d’articles promotionnels souhaiteront utiliser les PHA, au moins pour une partie de leur collection. Que leur conseilleriez-vous ?
La première question à se poser est toujours la même : quelles exigences le produit fini doit-il satisfaire ? À partir de là, on peut se mettre en quête du fournisseur de PHA qui convient. Ensuite, il faudra faire des essais et éventuellement procéder à des perfectionnements et à des adaptations.
Que faire pour que l’industrie plastique passe à ce matériau écologique à plus grande échelle ?
Les PHA sont très prometteurs et peuvent évoluer comme l’ont fait les plastiques traditionnels, mais il faudra encore du temps et de gros investissements pour arriver au même niveau. Les différents acteurs de la chaîne de valeur doivent avoir la volonté de passer à un processus qui demande beaucoup de temps et des moyens financiers conséquents. Les leaders jouent là un rôle clé. Plus on fera de développements et plus les produits commercialisés auront du succès, plus les entreprises seront nombreuses à suivre l’exemple des pionniers.
Notre réseau compte plusieurs grandes entreprises qui ont la volonté de participer à un changement et de tester des processus de fabrication avec des PHA de façon intensive, pour différentes sortes de produits. Le processus est le même que pour d’autres démarches d’innovation. Dès que toutes les exigences sont remplies en production, il s’agit de déterminer les bons volumes à fabriquer et d’adapter progressivement toute la chaîne de valeur. À l’échelle du globe, cela ne se fera pas du jour au lendemain, mais les prérequis sont en place. Pour ma part, je crois que les PHA ont devant eux un avenir radieux.
Interview réalisée par Till Barth et publiée initialement dans le n°141 d’Eppi Magazine. Avec l’aimable autorisation de l’éditeur, WA Media (© WA Media GmbH 2022).